Denis Bonzy

Parler à l’oeil : le message le plus redoutable

Ours 30 10 16

Dernièrement, à Londres, un jury a décerné le prix de la photographie de l'année au sujet des animaux sauvages. Parcourir la galerie des photos en compétition dégage un sentiment de désastre de la planète. Car l'un des messages consiste bien entendu à passer un message derrière une image. Et de très nombreux compétiteurs ont choisi des photos lugubres car la planète va mal et encore davantage des espèces animales. 

Parler à l'oeil est le message le plus redoutable. Les mots sont désormais tellement trahis, dénaturés, tiraillés dans tous les sens que l'image a gagné sur les mots. Mais passer un message en 1 image c'est tellement plus difficile que de chercher à convaincre avec quelques mots.

Pour moi, parmi les dernières belles photos d'animaux sauvages, ma préférence va à la photo ci-dessus. Elle est un résumé de la vie. L'âge permet de montrer le chemin à suivre. L'un s'y applique immédiatement. L'autre attend et observe. La même famille mais des tempéraments différents. L'un des beaux charmes de la vie : la différence et l'imprévisibilité. C'est aussi plus positif que le chapelet des catastrophes à venir.

Commentaires

Une réponse à « Parler à l’oeil : le message le plus redoutable »

  1. Avatar de Jean-Renaud Leborgne
    Jean-Renaud Leborgne

    Dans son émission du 16 novembre 1992,  » le Cercle de Minuit , Michel Field reçoit Régis Debray qui intervient pour parler de la parution de son ouvrage Vie et mort de l’image. Après s’être intéressé à l’influence des paroles sur la société, il étudie l’évolution de l’utilisation faite de l’image. Nos attentes se sont modifiées à travers le temps : selon lui, on ne recherche plus aujourd’hui la valeur magique ou esthétique de l’image. Il parle de « désenchantement de l’image » : la multiplication des images en dévalorisent la valeur. Celle-ci n’est plus analysée pour elle-même mais devient un « signe du monde ». Il dénonce l’apparition du « visuel » au détriment de l’image : l’utilisation de codes (logos, stéréotypes) nous permet de nous repérer mais tend à simplifier à l’excès notre appréhension du monde et de l’Autre.
    Extrait :
    Michel Field
     » On accepte tout ça, c’est une bonne explication, Vie et mort de l’image, le titre est un peu paradoxal, vie de l’image on comprend, mort de l’image pour caractériser une période où on a l’impression que l’image est partout, c’est un peu paradoxal.  »
    Régis Debray
     » Je ne parle pas de l’image dans le livre, je parle d’abord du regard. Je dis simplement que l’image n’existe que dans la mesure où on la regarde, et que c’est le regard qui fait l’image et que nous avons changé de regard. Depuis longtemps, nous avons d’abord eu un regard magique, c’est-à-dire un regard où on essaie de voir à travers l’image l’invisible, où l’image était cernée par une transcendance, comme ça disons par Dieu ou une divinité. Puis après on a eu une image esthétique, maintenant je crois qu’on a une image économique, c’est-à-dire que nous avons changé de regard, nous voulons avoir des signes du monde pour nous reconnaître dans le monde, mais nous ne regardons plus vraiment les choses pour elles-mêmes. Nous ne regardons plus les autres, les visages. Je crois qu’il y a image et je reprends les mots de Serge Daney quand il y a de l’autre, c’est-à-dire quand l’image débouche sur des hommes, sur des femmes, sur des paysages, sur des peuples, sur de l’étrangeté. Or le visuel, ce que j’appelle le visuel et qui serait la mort de l’image, ce sont des stéréotypes, des logos, des pubs si vous voulez, c’est-à-dire des signes par lesquels on peut mettre des étiquettes sur les choses et sur les situations. Mais vous savez, je crois qu’il y a des cycles et que sans doute on est au bout d’un cycle de désenchantement, de dévaluation de l’image. D’abord parce qu’il y en a trop, l’une chasse l’autre, on a une attention très flottante, nous ne sommes plus vraiment fascinés par une image. La preuve c’est que nous zappons à toute vitesse devant la télévision. Nous sommes au bout d’un cycle mais je crois qu’un autre cycle va recommencer, un cycle peut-être magico-religieux, en tout cas de fascination, d’approfondissement.  »
    Michel Field
     » Alors on connaissait le romancier que vous êtes, le philosophe politique, et ça fait deux livres que vous consacrez finalement à l’image, le premier c’était le Cours de médiologie générale, donc une analyse des…  »
    Régis Debray
     » Oui, c’est un mot un peu rébarbatif, je suis d’accord. Le cours de médiologie comme le nom l’indique, c’était un cours, donc c’était dit, ce n’était pas écrit, Et ça voulait étudier les puissances des idées, c’est-à-dire les puissances des mots, le pouvoir des mots quoi. Qu’est-ce qui fait qu’une parole frappe, qu’est-ce qui transforme une idée en force matérielle, qu’est-ce qui fait par exemple qu’une parole d’un homme par exemple qui s’appelle Jésus à Nazareth devient trois siècles plus tard une Eglise. Qu’est-ce qui fait que l’écrit d’un monsieur disons Karl Marx devient le marxisme, puis des partis, puis des États. Autrement dit, c’est la transformation de quelque chose de purement symbolique en quelque chose de lourd, qui sont des États, des politiques, des forces. On peut dire le même processus pour Luther, pour Calvin. Donc c’était le pouvoir des mots, avec l’histoire du regard c’est le pouvoir des images, c’est-à-dire quels types d’effets exercent les images dans l’humanité, puisque les images ont toujours, enfin l’homme est assujetti aux images, n’est-ce pas. Il a toujours été dominé ou envoûté par l’image qui lui a servi pour communiquer avec les morts pendant longtemps, pour communiquer avec les forces de l’au-delà, pour communiquer avec la nature, maintenant peut-être pour communiquer avec la marchandise, en tout cas l’image a toujours été un pouvoir d’attraction mais ce n’est jamais le même. Et je pense que nous avons changé de régime d’image si vous voulez maintenant. « 

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