Denis Bonzy

Ma rencontre avec Jeff Bezos

Jeff Bezos, PDG d'Amazon, vient d'acheter le Washington Post. En une semaine, c'est la troisième transaction sur des titres américains qui ont fait l'histoire de l'information : Boston Globe, Newsweek et le Washington Post.

Cette situation est la traduction des difficultés de la "presse papier" avec des cessions où le vrai prix réside dans la seule marque et dans le coût de …la restructuration à venir. La semaine dernière, le Boston Globe a été vendu moins de 10 % du prix de l'acquisition intervenue il y a 10 ans. C'est dire l'érosion de la valorisation.

Le parcours de Jeff Bezos est un parcours très étonnant. En 2001, quelques mois après l'ouverture d'une filiale en France, Euronext organise une rencontre avec des chefs d'entreprises français concernés par le livre et par Internet. Martine Collonge, responsable d'Euronext pour le secteur Rhône-Alpes, me propose d'y participer. Un accord de principe donné, quelques jours avant la réunion de travail, je reçois un immense carton d'invitation de plus de 80 centimètres de hauteur : c'était le carton pour la confirmation à effectuer auprès du service de presse d'Amazon. 

La rencontre se déroulait sur une péniche à Paris. Lors de cette réunion, quatre enseignements caractérisent le personnage :

1) la conviction qu'il va changer une partie du commerce : Jeff Bezos appartient à la catégorie des entreprenants qui sont animés par une vision du changement majeur qu'ils portent.

2) seul le monde les intéresse : dans leur présentation, il n'y a pas de place pour des "micro-marchés".

3) des investisseurs qui partagent la vision globale : l'entreprise Amazon a été créée en 1995. Son premier trimestre légèrement bénéficiaire est intervenu lors du dernier trimestre … 2001. Entre 1995 et 2003, les pertes cumulées ont été évaluées à plus de 2 milliards de dollars. Sans l'entrée en bourse en 1997, la société était au bord de l'arrêt. Mais l'entrepreneur comme les investisseurs savaient qu'une fois l'entreprise installée elle deviendrait une formidable machine à résultats (le résultat net annuel depuis 2010 dépasse le milliard de dollars).

4) Ils n'ont rien à faire des "exceptions locales". Amazon a emporté sur son passage comme une botte paille le contentieux sur les frais de ports gratuits face à la contestation du syndicat des libraires français. A moyen terme, c'est tout le dispositif du prix unique du livre qui explosera. Il a d'ailleurs déjà explosé dans les faits avec les "ventes privées directes d'occasion".

De ces 4 enseignements naissent les constats sur les barrières qu'il faut casser en France :

1) accepter l'innovation par la rupture totale face aux pratiques commerciales habituelles,

2) penser "monde",

3) regrouper des investisseurs qui partagent cette logique par le montant des fonds investis avec l'acceptation dès le départ de la stratégie dite du ketchup. Au début, il est difficile de faire sortir la matière d'une bouteille de ketchup. Mais après plusieurs coups, tout sort presque d'un coup. Ces investisseurs acceptent les "petits retours" même les pertes. Mais ils savent que dans le lot il y aura le moment où un placement va juter au maximum et épongera tous les autres risques et pertes.

4) se libérer des fausses contraintes administratives car elles sont de fausses barrières de protections.

Comme plusieurs de ces évolutions sont à l'opposé de l'actuelle politique publique du tout Etat, le décrochage de la France ne peut que s'accélérer pour atteindre des seuils inquiétants.

Jeff Bezos

Commentaires

Une réponse à « Ma rencontre avec Jeff Bezos »

  1. Avatar de Alexandre Kolow

    Super article Denis! J’ai vraiment adoré les 4 points qui qualifient Jeff Bezos car je crois qu’ils sont communs à tous les fondateurs de startups qui ont réussi malgré les innombrables difficultés du départ.

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