Denis Bonzy

La disparition de la librairie Arthaud – Grenoble : une situation tragique mais logique

Quand l'opinion publique française va sortir de "l'ivresse Cahuzac" à laquelle elle s'adonne actuellement, elle avance à grands pas vers une forte gueule de bois tant ce dossier cache les vrais problèmes du grand nombre. Dans des circonstances totalement différentes, les premiers commentaires sur la disparition de la librairie Arthaud à Grenoble relèvent du même problème : une classe politique qui refuse de voir en face la réalité des faits. Pour l'opinion publique, les ventes en ligne de livres via Internet seront les coupables.

Les vraies raisons sont ailleurs. Elles sont au nombre de 7. Quand un malade ne veut pas regarder en face les véritables causes de sa maladie, il est sûr de ne pas pouvoir traiter sa maladie donc ne pas guérir. Il en est de même en politique.

1) 1er responsable :
le centre ville de Grenoble devenu inaccessible et non accueillant : quel plaisir de se rendre dans un centre-ville qui est inaccessible, où l'automobile est rejetée, qui pue dès qu'il fait chaud parce que les clodos urinent dans les petites rues, qui n'est pas sécurisé et qui est de plus en plus laid avec des tags à tous les coins de rues ?Arthaud 11 04 13

2) 2ème responsable : l'urbanisme de la ville de Grenoble avec un centre – ville qui n'est pas animé de façon multipolaire : avec la disparition du palais de Justice, la "grande rue" a perdu son attractivité diversifiée. Le centre ville de Grenoble c'est maintenant Victor Hugo, Place Grenette et Square Vaucanson. C'est une conception trop réductrice du centre – ville. 

3) 3ème responsable : la concurrence para-publique : quand des institutions publiques deviennent des "éditeurs" avec des produits gratuits ou quand des établissements scolaires peuvent commander directement les livres auprès de centrales, ce sont autant de clients qui échappent aux librairies.

4) 4ème responsable : la politique nationale du livre avec l'hérésie du prix unique installé par la loi Lang : quand un produit ne marche pas, la seule façon de le sauver sans avoir à sacrifier tout le stock, c'est la réactivité immédiate sur le prix. Cette réactivité est impossible avec la loi Lang qui aura tué un nombre considérable de petits éditeurs et de libraires indépendants.

5) 5ème responsable : une politique régionale du livre inexistante. L'ARALD supposée aider le livre est en redressement judiciaire avec une ardoise de plus de 700 000 €. L'ARALD n'a jamais défendu les éditeurs indépendants régionaux ni les libraires indépendants.

6) 6ème responsable : la disparition d'émissions de promotion du livre sur des chaînes TV dites de service public à des heures de grande audience. Comment aller acheter des produits que les clients ne connaissent pas ?

7) 7ème responsable : Internet et la commande en ligne. C'est une nouvelle logique de la distribution qui est née. Elle fragilise les segments de marchés où les produits ne sont pas périssables ni fragiles donc tout particulièrement l'édition qui se prête bien à la commande en ligne voire demain à la lecture en ligne.

Ces 7 facteurs existaient depuis longtemps.

La responsabilité est décroissante. L'urbanisme est le premier fautif. Arthaud peut trouver un sursis. Mais en tendances durables, s'il n'y a pas d'inversion rapide sur les 4 premiers facteurs, la disparition ne sera que différée. 

C'est une réalité à regarder en face.

Le commerce du centre – ville va jouer son avenir en mars 2014. L'actuelle politique est sa condamnation selon un calendrier incertain mais la condamnation, elle, est certaine. Parce qu'un commerce sans client ne peut jamais vivre et que les clients ne vont plus au centre – ville.

C'est en ayant l'honnêteté de poser le vrai problème qu'il est possible de le régler. Le reste, c'est de la poudre aux yeux.

Denis Bonzy

Commentaires

5 réponses à « La disparition de la librairie Arthaud – Grenoble : une situation tragique mais logique »

  1. Avatar de A.
    A.

    J’apprends cette nouvelle par vos interventions, et cela m’attriste! J’ai vécu un an rue Jean-Jacques Rousseau, juste à côté de cette libraire. Et j’avoue avoir pris un grand plaisir à y flâner le soir quand j’en avais le temps, puis le WE quand je n’étais plus étudiant. (J’ai pu réaliser son influence sur ma bibliothèque lors de mon départ de Grenoble, cette dernière ayant intégralement rempli ma voiture… mais je m’égare).
    Je commente votre article, car de toutes vos raisons, la 1e me semble particulièrement vrai. J’ai été une fois agressé Rue des Clercs (ce qui m’a valu quelques séances d’ostéo à cause d’un coup mal encaissé, j’ai depuis appris à ne plus écouter de musique en marchant dans la rue), et j’ai dû une fois « fuir » dans le parking Philippeville (et ses nombreuses sorties) après avoir été pris à parti par plusieurs individus un soir.
    Il est franchement dramatique d’avoir un centre-ville avec un tel niveau d’insécurité. Je n’ai pas les mots pour dire à quel point cela est proprement hallucinant (« unfassbar »). J’habite désormais en Allemagne, et même si Grenoble me manque, ceci est une des deux raisons qui font que je n’envisage pas de revenir. (L’autre raison tient à la politique nationale, mais ce n’est pas l’objet ici…).

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  2. Avatar de Daniel Mascart
    Daniel Mascart

    S’il n’y avait pas eu la loi Lang, Arthaud aurait ete rayé de la carte depuis longtemps, tous les libraires le disent. La Grand,rue est une des rues les plus animées de Grenoble, vous devriez y aller de temps en temps.
    Pourquoi tant de mauvaise foi face une institution qui aurait sans aucun doute besoin d’aide.

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  3. Avatar de denis bonzy
    denis bonzy

    A Daniel Mascard
    Cher Monsieur,
    1) S’agissant de la loi Lang, regardez les chiffres. Notre pays a connu une diminution historique d’éditeurs indépendants et de libraires indépendants. Il y a actuellement dans la Province de Québec un débat sur l’introduction d’un dispositif de ce type. C’est une levée de boucliers de tous les indépendants contre un éventuel dispositif du type de la loi Lang.
    2) s’agissant de la Grande Rue, j’y suis très souvent et sur les 15 dernières années, je vous suggère que nous comparions le temps passé dans cette rue, je ne suis pas sûr que nous ayons le « même compteur ».
    En 1998, une enquête a été conduite sur l’évolution des nombres de passants dans la grande rue. C’est l’échec de la conception des espaces piétons sous la forme dite des doigts de gants. Il y a des réalités qu’il vaut mieux intégrer pour ne pas aller d’illusions en échecs. Le rééquilibrage de la grande rue n’est pas intervenu par l’échec du carré des clercs puis par la fermeture du palais delphinal.
    Cordialement.
    denis

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  4. Avatar de Didier Lebouc

    Bonjour
    Je découvre juste aujourd’hui ce billet de blog.
    Je ne vous suis absolument pas sur plusieurs des points que vous évoquez même si je vous rejoins totalement sur le #4 concernant le prix unique.
    #3 Heureusement que les acteurs publics, dont les déficits assomment le pays, ont des politiques d’achat et d’approvisionnement un peu rationnelles. Diminuer la dépense publique c’est aussi acheter efficacement et pas servir des clientèles locales.
    #5 Les politiques publiques de soutien à des lignes de produits sont toujours des gaspillages. Une entreprise – fut-elle culturelle – doit vivre sans subvention. Les élus locaux et leurs politiques n’ont pas à s’occuper de soutien aux livres ou aux cocottes-minutes. Les collectivités locales doivent s’occuper des infrastructures au sens large et c’est tout ! Cela rejoint le point #3
    #6 Si il n’y a plus beaucoup d’émissions de TV c’est qu’elles n’ont plus beaucoup de téléspectateurs.
    Avec la multiplicités des chaines de TV mettre des émissions ne faisant pas envie n’aurait aucune efficacité.
    Une autre façon de réduire le déficit serait de privatiser France TV.
    Il n’y a jamais eu autant de livres vendus et publiés en France qu’en ce moment. Si les librairies coulent (il y a eu Virgin avant Chapitre) c’est juste que les livres se vendent différemment, se dématérialisent et, donc, chutent en prix, s’échangent gratuitement, voire même se volent.
    Les défenseurs d’Arthaud, y compris dans les commentaires ci-dessus, parlent d’une institution. C’est le mot qu’on emploie pour un musrée, pas pour un commerce.
    Cordialement

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  5. Avatar de Maserati
    Maserati

    Avoir des ambitions politiques et établir des démonstrations spécieuses et très étonnant et démontre que vous connaissez pas Grenoble, ni le marché des biens culturels.
    -Les odeurs d’urine, ne sont pas dues aux SDF, mais à la jeunesse qui se saoule à la bière dans le centre ville et provoque des tapages nocturnes jusqu’au petit matin impunément.
    – Le prix du livre fait qu’il existe encore des librairies et que si certaines ferment, il ne fallait pas les vendre aux américains. Pourquoi garder des circuits de distribution lourds (surtout en France), alors que la vente en ligne se développe et que la fnac qui est bien française n’a pas été capable de prendre sa place sur ce marché.

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