Pendant de nombreuses années, lors de temps morts dans des Assemblées, je me posais une question à la fois simple et complexe : pourquoi finalement telle personnalité était de droite ou de gauche ?
Sur le fond, au-delà de l'ardeur parfois témoignée par les protagonistes, la largeur du fossé intellectuel était souvent minime. L'idéologie ne résistait pas à l'analyse et encore moins aux pratiques individuelles. Finalement, l'écoute des discours mais surtout l'examen des réactions laissaient apparaître une grille de partage qui est dans le rapport à l'action : l'élu de droite veut faire là où l'élu de gauche pratique assez facilement le charme discret de l'inaction.
Dès qu'un problème survient, l'élu de droite veut une solution. Il doit régler le problème, c'est sa raison d'être. Placé dans les mêmes circonstances, l'élu de gauche est considérablement plus modéré. Il va concerter, écouter, parfois ne rien décider, souvent même ne rien décider. Faire ce constat n'est pas acte partisan. C'est une donnée de tempéraments.
Prenons deux exemples pratiques récents. D'une part, l'abandon de la Rocade Nord de contournement de Grenoble. Face à l'avis négatif, la droite aurait considéré qu'il ne s'agissait que d'un avis. Elle aurait contesté les remarques techniques. Elle aurait probablement rappelé qui avait autorité légale pour décider … La gauche a été à l'opposé de tout cela. Elle a attendu pour commenter. Elle s'est inclinée devant l'avis qui a emporté le projet dans les poubelles de la petite histoire locale. Et après ? Pas de date, pas de nouveau rendez-vous, pas de geste fort …
Il en est de même concernant l'accident quasi-mortel d'un étudiant en plein centre-ville de Grenoble dans le cadre d'une violence barbare sans précédent. Le reportage de Paris Match cette semaine est effrayant. La droite aurait renforcé des effectifs, renforcé la vidéo protection … La gauche commente, s'inquiète de cette poussée de violence mais la relativise immédiatement. Le lendemain est comme hier avec seulement quelques gestes de compassion en plus.
Qui a raison ?
Si durer est le luxe suprême de tout élu, la gauche a indiscutablement raison car elle adopte une attitude qui ne brusque pas la société. Par conséquent, elle apparaît plus douce, plus conciliante. En revanche, dans le temps, le maintien du statu quo quasi-généralisé est par définition une sorte d'immobilisme qui peut pénaliser. C'est alors qu'entre en action comme arme ultime la machine à simplifier le temps : "nous aurions bien voulu agir mais tel ou tel pouvoir a empêché l'action".
Avec ces deux arguments qui peuvent se succéder dans le temps, la gauche bat des records de longévité comme si l'abandon de pouvoir était la meilleure façon pour le conserver. Etonnant paradoxe qui finalement correspond assez bien aux autres paradoxes plus profonds de la société française qui veut à la fois le changement et qui le conteste dès qu'il est mis en oeuvre, qui déclare aimer les réformes mais qui est arcboutée sur un conservatisme permanent.
Face à la violence des problèmes à régler, ce charme discret de l'inaction peut-il encore opérer ? Quant à la machine à simplifier le temps en rejetant sur autrui la cause de l'impuissance est-elle encore crédible ? Il n'est plus sûr que ces vieux remèdes ne soient pas en fin de course ?
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