Denis Bonzy

Seguin contre Seguin : que le meilleur perde …

L'oubli commence aujourd'hui pour Philippe Seguin. La période actuelle est marquée par les excès émotionnels. Hier, le coeur de la France était supposé s'arrêter en raison de la disparition du "grand homme". Aujourd'hui, le coeur de la France est déjà reparti vers d'autres considérations … Plus l'émotion grandit, plus l'oubli s'accélère car chassé par une nouvelle émotion.

Loin de tels effets ponctuels, il est intéressant de chercher à comprendre les raisons de cette "passion triste" née ces derniers jours pour Philippe Seguin. Il faut probablement rapprocher cet évènement de la publication hier d'une enquête Sofres / Cevipof sur la confiance des Français.

Derrière ce "phénomène Seguin", il me semble que l'opinion témoigne son attachement à quatre valeurs.

1) La place du contenu : Seguin était d'abord un contenu durable dans le temps alors même que l'actuelle période est sans contenu ou avec un contenu tellement éphémère voire interchangeable. Les élections se vivent désormais sans programme, sans débat.

2) Le recul du look : Seguin était un esprit, un caractère avant d'être un look. Là aussi, quel contraste avec la période actuelle où les responsables politiques engagent des "campagnes minceur" comme si apparaître mannequin devenait leur priorité.

3) Le choix du tempérament : il était accroché à des valeurs au prix même de sa carrière personnelle ; à l'opposé de toute mentalité de cour. Il était intègre vis à vis de son tempérament au point que Seguin pouvait devenir le pire adversaire de ses propres intérêts politiques.

4) L'autorité rempart : toutes les qualités précédentes lui confèrent un rôle d'autorité rempart. Il ne fait pas rêver mais justement il déçoit d'autant moins. Il n'offre pas des visages multiples mais justement la constance impose le respect. Il n'est pas proche au point d'être aimé mais il est compétent au point d'être admiré. Il est ainsi une synthèse des contradictions des Français dans le choix de leurs représentants à un moment où un tournant se produit peut-être dans ce profil type.

Il y a ainsi une sorte d'amertume, voire de culpabilisation, à ce que le "meilleur perde". Pour combien de temps ?

 

Philippe Seguin par Christian Bec

 

La disparition de Philippe Seguin m’a profondément bouleversé et je tiens à mon tour à rendre hommage à cette figure qui a marqué la vie politique française grâce à une carrière atypique et riche en rebondissements.

Homme de convictions fortes et affichées, son parcours n’a pas été un long fleuve tranquille. Il avait un sens profond du devoir et de l’intérêt collectif couplé à une intégrité intellectuelle exceptionnelle.

Il était tout sauf un homme de compromis. J’ai la conviction qu’il privilégiait les idées et les valeurs au détriment d’une seule carrière politique. Philippe Seguin était vertueux, talentueux et « classieux ».

Avec sa disparition brutale, nous perdons un homme sincère et profondément généreux qui aimait donner l’image d’un bougon capable de coups de gueules et de colères. Entre nous, ce qui dérangeait la classe politique était son côté imprévisible plus que ses emportements colériques.

Fidèle et loyal, Philippe Seguin a su venir en aide à sa famille politique chaque fois que la situation l’exigeait. Homme de conviction, il l’était sans aucun doute. En 1992, lors du référendum sur Maastricht, Philippe Seguin fait parti de ceux qui osent s'opposer à ce traité en argumentant que la France ne doit pas perdre sa souveraineté et en dénonçant le démantèlement du pays. Il n’a pas hésité entre un non de conviction et un oui d'intérêt.

Cet homme qui se qualifiait souvent de mal aimé fait aujourd’hui l’objet d’un hommage unanime et émouvant de la part des Français et de l’ensemble de la classe politique. A droite, c’était sans aucun doute l’un des meilleurs de sa génération. On s’interroge aujourd’hui sur ce qu’aurait pu être sa carrière dans d’autres circonstances. Je ne pense pas utile de phosphorer sur les hypothétiques parcours politiques qu’aurait pu réaliser Philippe Seguin.

Il restera à tout jamais un grand serviteur de l’Etat, amoureux de la France et de la République. Il a achevé sa carrière comme premier président de la Cour des Comptes, où avec grand professionnalisme, il dénonçait les erreurs ou les dérives de l'administration et du pouvoir politique.

Philippe Séguin, c'était l'un de ces personnages qui donnent un sens à la politique, l'un de ceux aussi qui en constituent le socle le plus noble.

Je profite de ce billet pour vous conseiller de lire « Itinéraire dans la France d'en bas, d'en haut et d'ailleurs ». Pour la première fois, il parle de lui, de son enfance tunisienne, de ses souvenirs et de sa place au sein du pouvoir.

Et puis, j’ai une tendresse particulière pour « ces rénovateurs de l’opposition » dont il faisait parti aux côtés notamment d’Alain Carignon, François Fillon, Michel Noir ou Michel Barnier. A travers une convention, convaincu de la nécessité d’un changement de génération, ils souhaitaient incarner la relève. C’est un homme que j’aurais profondément aimé rencontrer. Respect pour ce grand personnage.

Christian Bec

Commentaires

Une réponse à « Seguin contre Seguin : que le meilleur perde … »

  1. Avatar de Martial BOILLOT
    Martial BOILLOT

    Bel hommage rendu à cet homme aux convictions et valeurs bien trempées…qui ne souffraient pas les compromissions auxquelles s’assujettissent les ambitions toutes personnelles. A travers ce commentaire, je rends hommage aussi à l’auteur de ce blog dont j’apprécie la mise en perspective des articles et la hauteur de l’analyse… plutôt fouillées… Je me sens en phase avec la plupart des écrits… Merci Denis! Meilleurs Voeux!

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