Au début des débats ouverts sur la décentralisation à peine François Mitterrand arrivé à l'Elysée, les envolées lyriques étaient nombreuses sur la décentralisation comme nouveau souffle démocratique. Michel Crozier avait vilipendé le système bureaucratique centralisé en détaillant la fonction de Préfet dans des conditions inédites. Jacques Delors, alors d'abord ex collaborateur de Jacques Chaban-Delmas, co-auteur avec Simon Nora du remarquable discours sur la Nouvelle Société avait publié "la démocratie à portée de la main" avec son club de réflexions. Le premier dénonçait ce qui n'était plus supportable et le second définissait l'espoir. 40 ans plus tard, et si c'était d'abord le deuil de toutes ces envolées ? Hier soir, avec plaisir, j'ai participé à une réunion locale sur l'urbanisme. J'ai beaucoup écouté et j'ai beaucoup appris, ce qui est toujours un plaisir. J'ai écouté la sincérité de citoyens souvent méprisés par des élus locaux pourtant supposés être leurs … représentants. Des élus qui toisent, ne saluent même plus ceux qu'ils savent ne pas appartenir à leur clientèle électorale. Des élus locaux soumis dans une instance métropolitaine XXL à cautionner des faits moralement intolérables (scandale des Pompes Funèbres Intercommunales) mais reproduisant, par sorte de mimétisme mécanique, le mauvais traitement qu'ils subissent dans cette enceinte en l'infligeant ensuite à leurs … concitoyens. Etre opposant pour défendre des valeurs, c'est être citoyen en refusant d'être client et non plus … citoyen. Or les clients sont en train de gagner la démocratie française. La quête d'une subvention, le besoin d'accéder à des salles publiques, l'attente d'un pseudo passe-droit, le souci d'un stage, le statut de salarié du secteur public … : autant de volets d'aliénations de la liberté citoyenne. Et une question naturelle : et si dans un pays latin comme la France, la décentralisation était devenue aussi, voire surtout, la Cour du Grand Turc avec sa course aux privilèges arbitraires ? Dans certains territoires, il faut de la conviction, de la liberté pour rester citoyen au sens réel du terme capable d'exprimer des convictions en fonction d'idéaux et non pas d'intérêts. Avec le recul, je ne suis pas sûr que Crozier et Delors étaient d'aussi talentueux précurseurs que ce que j'imaginais en lisant leurs ouvrages lors de la publication d'origine. Dans de nombreux endroits, la période ressemble beaucoup à s'y méprendre à l'adieu au statut de citoyen. Heureusement, qu'il reste encore des personnes qui n'acceptent pas ce deuil préoccupant.
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