Le procès Chirac pourrait se dérouler sans la présence de … Jacques Chirac. Si tel devait être le cas, ce serait la reconnaissance la plus violente de l'existence d'une caste d'intouchables ; ce qui est incompatible avec une démocratie.
Des personnes qui décident de tout mais qui ne répondent de rien.
Dans le langage courant, les termes de pouvoir et de responsabilité ont des relations paradoxales. Ces termes sont souvent intimement liés mais aussi parfois opposés. Ils sont liés car, dans les termes du quotidien, un responsable est une personne qui détient une fraction de pouvoir. Et pour autant, dans le même cadre, il est désormais commun de dénoncer qu’une personne détenant du pouvoir ne soit pas responsable.
Ce constat montre que la responsabilité fait référence à deux notions :
– d’une part, la notion de prise en charge du destin d ‘autrui (le pouvoir),
– d’autre part, la notion de comptes qu’il faut rendre en retour de cette prise en charge.
Sous ces deux volets, la notion de responsabilité paraît connaître une évolution restrictive ces dernières années.
En ce qui concerne la responsabilité au sens de comptes à rendre en contrepartie de l’exercice d’un pouvoir, les procédures sont empreintes d’une très faible efficacité.
En dehors de sanctions électorales globales, la responsabilité politique parait inexistante.
S’agissant de la responsabilité disciplinaire, le sentiment largement répandu est qu’elle demeure d’abord la responsabilité du « lampiste ». Le processus du bouc émissaire est très développé dans la culture française amorçant une double injustice qui consiste à faire peser des charges démesurées sur un seul individu et par conséquent à ignorer d’autres auteurs non négligeables si ce n’est les principaux.
Quant à la responsabilité financière, force est de constater qu’il y a souvent un abîme entre le montant du dommage qu’il faudrait réparer et la réalité des possibilités financières de l’intéressé. Si bien que cette responsabilité financière connaît une mise en œuvre difficile.
Enfin, la responsabilité pénale vise à sanctionner les fautes particulièrement graves. Mais pour qu’elle soit engagée, il faut viser des faits frappés d’une gravité sortant d’un simple dysfonctionnement.
Ces réalités pratiques ont une conséquence commune : le sentiment répandu d’une large irresponsabilité des détenteurs de pouvoirs.
Péguy déclarait « tout est politique aux politiciens, tout est morale aux honnêtes gens ». Ce sentiment d’irresponsabilité a conduit à découpler politique et morale.
C’est la première étape vers une progressive aversion contre la politique : trop de déceptions, trop de contradictions, trop de méfiances, trop d'échecs, trop d'irresponsabilité.
C’est contre cette évolution là qu’il faut lutter. Il est donc indispensable de renforcer les liens entre l’exercice de tout pouvoir et l’existence d’une responsabilité.
L'éventuelle non tenue du procès de Jacques Chirac serait un terrible aveu d'échec concernant le statut pénal du Chef de l'Etat. L'exemple doit toujours venir d'en haut et il n'est pas possible dans une démocratie que le Chef de l'Etat soit de fait irresponsable.
Jacques Chirac avait toute sa tête il y a quelques semaines pour recommander un vote pour une présidentielle aux côtés de François Hollande et ne l'aurait plus quelques semaines plus tard pour parler de son propre bilan ?
Sans responsabilité forte, réelle et rapide des détenteurs du pouvoir, le socle démocratique vacille. Aujourd'hui, en France, cette responsabilité existe peu. La presse n'investigue pas. Les juges ont une indépendance variable. Le Parlement ne contrôle que très peu. La liste des exemples précis d'inquiétudes est grande. La tenue du procès Chirac sera bien un test de démocratie.
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